Considérations intempestives 2


Edito Revue N°140

L’art et l’étranger

 

Un spectre hante aujourd’hui les nations : la xénophobie. Ce fléau n’épargne pas le domaine des arts et de la culture. La première ministre italienne vient de refuser la reconduction des directeurs d’établissements culturels qui ne sont pas de nationalité italienne. Plus radicalement, le président russe veut éradiquer toute culture ukrainienne des territoires conquis. Certaines communautés sont tentées par le repli sur elles-mêmes et refusent à tout étranger une quelconque appropriation culturelle. Cette dernière expression qui signifiait primitivement l’utilisation par une société d’éléments d’une culture étrangère a pris un sens négatif qui délégitime cette utilisation. Seul le « natif » d’une culture serait apte à la comprendre et à la vivre. Cette position suppose que les identités sont imperméables.

Pourtant, comme l’écrivait Claude Lévi-Strauss en 1961, dans Race et histoire, « L’exclusive fatalité, l’unique tare qui puissent affliger un groupe humain et l’empêcher de réaliser pleinement sa nature, c’est d’être seul. » La création artistique vit de sa confrontation avec les productions étrangères. La circulation des artistes et des œuvres est un phénomène historique. Pour le cas de la France, on sait ce que la Renaissance doit aux artistes italiens et flamands, ce que le renouvellement des formes au tournant du XXe siècle doit à l’espagnol Picasso, au russe Chagall ou au suisse Giacometti ; après la seconde guerre mondiale, le mouvement de l’abstraction s’est nourri des peintres américains comme du hongrois Hantaï. L’inventivité et la liberté de création ne supportent pas les frontières et ne sont guère favorisées par le nationalisme artistique, instrument politique au service d’une identité supposée qui n’est qu’une régression vers un passé mythifié.

Toutefois, l’internationalisation des productions culturelles peut conduire à l’uniformisation caractéristique de la culture de masse : les mêmes séries, les mêmes musiques et les mêmes romans consommés par un public mondial. L’accueil de l’étranger suppose plutôt l’acceptation de la diversité sans laquelle toute culture reste stérile.Être troublé, dérangé, voire déstabilisé par des formes d’art étrangères peut permettre l’extension de notre sensibilité et de notre compréhension du monde.

 

Edouard Aujaleu

Vice-président des AMF