Couverture La Rencontre


 

Jean-antoine Houdon : Voltaire assis, vers 1780-1790, terre cuite, plâtre patiné et bois, 120 x 62 x 95 cm, musée Fabre, Montpellier.
En fond, Traité sur la Tolérance, (édition originale) Genève 1763

“ Je suis Charlie ”. Ce slogan a rassemblé des millions de Français après l’assassinat des dessinateurs de Charlie Hebdo par des fanatiques qui prétendaient les punir d’avoir caricaturé Mahomet. La plupart des manifestants n’adhéraient pas à l’esprit libertaire du journal mais voulaient affirmer fortement leur attachement à la liberté d’expression, chèrement acquise à partir du Siècle des Lumières. Et de multiples commentateurs se sont plu à répéter la célèbre phrase attribuée à Voltaire : « Je ne suis pas d’accord avec vous mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire. » En somme, être Charlie signifie que, même si on n’aime pas ce que publie ce journal satirique, on veut qu’il puisse le faire librement.
Pourtant, cette phrase est apocryphe, comme d’autres attribuées au philosophe considéré comme le plus emblématique de la liberté de pensée constitutive de la République Française (1). Selon la Société Voltaire, celui-ci n’aurait jamais défendu les Jésuites et a laissé censurer la revue de Fréron, son ennemi juré, par son ami Lamoignon de Malesherbes. En réalité, Voltaire n’était pas prêt à défendre la liberté d’expression des ennemis des philosophes.
Loin du discours respectueux, il n’a pas hésité à utiliser l’ironie mordante, la polémique sarcastique, voire la gauloiserie, en particulier contre les pratiques religieuses. Sa Pucelle d’Orléans, long poème parodique de  l’épopée,  a  longtemps  fait  partie  de “ l’Enfer ” de la Bibliothèque Nationale. Sa tragédie Mahomet est une caricature effarante du prophète de l’islam. La diatribe se fait particulièrement virulente quand elle pourfend la violence pratiquée au nom d’une religion. Il est horrifié par les tortures abominables infligées au jeune chevalier de La Barre accusé d’avoir chanté des chansons impies. A cause de la torture, la France, pourtant louée à l’étranger pour le raffinement de ses arts, abrite selon lui la « nation la plus cruelle ». Scandalisé par l’autodafé organisé à Lisbonne après le tremblement de terre, il écrit dans Candide² : « il était décidé par l’université de Coïmbre que le spectacle de quelques personnes brûlées à petit feu, en grande cérémonie, est un secret infaillible pour empêcher la terre de trembler ».
En revanche, Voltaire prône la tolérance entre les religions. A ses yeux, seuls les rites les opposent, ce qui est insignifiant, et elles pourraient facilement cohabiter, à condition qu’aucune ne prétende à l’hégémonie ou au pouvoir politique. Ce sont ces deux volontés illégitimes qui caractérisent le fanatisme et provoquent les bains de sang, y compris à l’intérieur d’une même religion.

Voltaire n’aurait donc  sans  doute  pas  refusé  de publier quelque diatribe dans Charlie Hebdo. Mais ce ne sont pas ses textes les plus provocants qui ont fait de lui une référence incontournable pour nos valeurs communes. C’est sans doute pourquoi certains préfèrent lui attribuer des formules plutôt que de le citer exactement.

 

Marie-Noëlle Veran

1 Voltaire, parlant d’Helvétius a dit « Cet homme valait mieux que tous ses ennemis ensemble ; mais je n’ai jamais approuvé ni les erreurs de son livre [De l’Esprit], ni les véri- tés triviales qu’il débite avec emphase. J’ai pris son parti hautement, quand des hommes absurdes l’ont condamné pour ces vérités mêmes. » On connaît aussi le combat mené par Voltaire pour faire réhabiliter la mémoire du protestant Calas.

2 Candide, ch.6